Quelques heures après la mort à Nanterre d’un jeune homme de 17 ans, abattu à bout portant par un policier lors d’un refus d’obtempérer, le cadre de l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre s’est invité à l’Assemblée nationale. « Il serait urgent de revenir sur la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, dont l’ambiguïté permet aux policiers d’en faire une lecture très discutable concernant l’usage de leur arme », a proposé la députée écologiste Sabrina Sebaihi.
Dans sa réponse, le ministre de l’intérieur a exprimé son « désaccord » avec la remarque de la parlementaire d’opposition. Gérald Darmanin a même livré une analyse inverse : « J’ai souvent fait observer ici que le nombre des tirs effectués par des policiers, ainsi que celui des personnes mortellement touchées par ces tirs, ont diminué depuis 2017. » Moins de tirs depuis 2017 ? Les chiffres publiés par l’inspection générale de la police nationale (IGPN) contredisent l’évolution décrite par le ministre.
La loi de 2017 et l’« assouplissement » des règles de tirs
2017 est souvent évoquée comme date repère en la matière, du fait de l’adoption – le 28 février de cette année-là – d’une loi relative à la sécurité publique. Rédigé à la hâte pour apaiser la colère des policiers et de leurs représentants syndicaux après les graves blessures occasionnées à deux d’entre eux à Viry-Châtillon (Essonne) en octobre 2016, ce texte a étendu les conditions d’emploi de l’arme à feu pour les fonctionnaires de police.
Selon des documents internes à la police consultés par le journal Libération en 2022, la direction générale de la police nationale évoque, elle, un « assouplissement » et estime que la nouvelle loi « renforce la capacité opérationnelle des policiers en leur permettant d’agir plus efficacement, tout en bénéficiant d’une plus grande sécurité juridique et physique ».
Le texte de 2017 exige pourtant toujours le respect des principes de « stricte proportionnalité » et d’« absolue nécessité » avant de recourir aux armes, dans le but exclusif de légitime défense des policiers ou la préservation de la vie de tiers, mais il liste plusieurs cas dans lesquels les membres des forces de l’ordre sont autorisés à ouvrir le feu. Parmi ces derniers : le refus d’obtempérer quand les occupants du véhicule « sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».
Forte augmentation des tirs après la loi de 2017
Dès après l’adoption de la loi de 2017, le nombre de tirs sur des véhicules en mouvement avait connu un pic, avec 202 faits, soit 65 de plus que l’année précédente. Depuis, ce chiffre a certes décru pour atteindre 157 cas en 2021, mais il reste bien supérieur à celui d’avant 2017. Quand la moyenne s’établissait à 119 au cours des cinq années précédant la loi de 2017, elle atteint 150 par an les quatre années suivantes.
Selon les données publiées par l’IGPN, le nombre de tirs policiers a, sur la même période, évolué dans les mêmes proportions que ceux visant spécifiquement les véhicules en mouvement. Un pic a ainsi été atteint en 2017 (394 tirs). La moyenne des cinq années précédentes (250) est, elle aussi, inférieure à celle des quatre suivantes (297).
Effet « significatif » de la loi sur les tirs mortels
Une analyse qui converge avec les travaux des chercheurs Sebastian Roché (CNRS), Paul Le Derff (université de Lille) et Simon Varaine (université de Grenoble). Publiée en septembre 2022 dans la revue Esprit, cette étude des homicides policiers à la suite de refus d’obtempérer (de 2011 à 2022) s’intéresse tout particulièrement à l’effet de la loi de février 2017 sur l’augmentation relativement nette des tirs policiers sur des véhicules en mouvement depuis cette année-là.
Les chiffres collectés par les chercheurs montrent une augmentation significative des tirs mortels d’agents de police après la loi de février 2017 sur les conducteurs de véhicules en mouvement : on observait environ 0,06 mort par tir sur un véhicule avant la réforme, contre environ 0,32 depuis la réforme du code de la sécurité intérieure. Les chercheurs rappellent que les facteurs sont pluriels, mais estiment que l’effet de la loi de 2017 est « significatif » et que l’augmentation des tirs mortels n’est pas liée à celle des refus d’obtempérer, lesquels « avaient commencé à augmenter avant la loi, tandis que les tirs mortels n’ont augmenté qu’après ».
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